Né en 1854 à Nancy, Henri Poincaré fut un des plus grands génies français. Ses principaux travaux portèrent sur la physique et les mathématiques mais il s’intéressa également à la philosophie et à l’épistémologie.

Il s’interrogea notamment sur la nature de la science et le rôle particulier des mathématiques dans la compréhension que les humains ont de la nature. Pour lui, le but de la science n’est pas de connaître les choses en elles-même mais seulement d’appréhender les rapports entre ces choses. Et puisque les mathématiques sont l’art d’étudier la forme des objets et les relations qu’ils ont les uns avec les autres, elles forment la structure centrale de toute démarche scientifique
Poincaré ne se contente donc pas d’être, avec Lorentz et Einstein, un des pères de la relativité restreinte, il va plus loin en instaurant un véritable relativisme philosophique. Il propose dans ce sens un certain nombre de jeux de l’esprit où il se demande quelle forme aurait pris la science si la vie sur Terre avait été différente.
Premier exemple : la planète recouverte de nuages
Par exemple, il suppose que d’épais nuages cachent en permanence la voute céleste aux hommes. Un Copernic issu de ce monde imaginaire finirait-il par surgir et affirmer que la Terre tourne sur elle-même? Pour Poincaré, la réponse est oui. Les forces centrifuges seraient d’abord considérées comme des forces véritables et non comme des effets de changement de référentiel. Cela permettrait d’expliquer l’observation selon laquelle un objet isolé sur Terre ne suit pas une trajectoire rectiligne.

Toutefois, on ne verrait pas ces forces s’annuler sur de grandes distances et on imaginerait alors un milieu analogue à l’éther où tous les corps baigneraient et qui exercerait sur eux une action répulsive. Le modèle construit accumulerait alors les complications à l’image des sphères de verre de Ptolémée jusqu’à ce que le Copernic attendu les balaye toutes d’un seul coup en disant : il est bien plus simple d’admettre que la Terre tourne. Ce Copernic simplifierait alors les lois de la mécanique de la même manière que le Copernic réel a simplifié les lois de l’astronomie.
Ci dessous, la simplicité du modèle héliocentrique face au modèle des sphères de Ptolémée
Deuxième exemple : le système solaire isolé
Pour son exemple suivant, Poincaré introduit une distinction entre les constantes accidentelles et les constantes essentielles. Si une loi stipule qu’une certaine quantité est fixée sur une valeur mais que c’est un hasard qu’elle se trouve avoir cette valeur particulière, on parle de constante accidentelle. Si au contraire, une loi impose la valeur exacte de cette quantité, on parle de constante essentielle. Par exemple, la durée de révolution de la Terre est une constante accidentelle et l’exposant (égal à 2) de la distance dans la loi de Newton est une constante essentielle.
La constante des aires, qui en première approximation ne dépend que de la masse du Soleil, est vue comme accidentelle. Elle prend en effet d’autres valeurs dans d’autres systèmes stellaires. Mais imaginons qu’il ne soit pas possible de voir en dehors du système solaire : la constante des aires serait unique et considérée comme une constante essentielle. On décrirait alors le mouvement des planètes par des équations différentielles de premier ordre beaucoup plus compliquées que les lois de Newton obtenues en les dérivant. Des difficultés liées aux symétries apparaîtraient également.
Il faudrait alors privilégier les lois de Newton faisant passer la constante des aires au statut de constante accidentelle malgré les apparences. Au bout du compte, même avec une connaissance très partielle de l’Univers, des arguments de simplicité et de symétrie conduiraient les habitants de ce système à formuler les mêmes lois que nous. Nous sommes donc conduits à agir comme si une loi simple était, toutes choses égales par ailleurs, plus probable qu’une loi compliquée.
Il faut donc supposer que les lois de la physique sont simples ce qui apparaît contredire le sentiment d’unité de la nature. En effet, si tout dépend de tout, des rapports où interviennent tant d’objets divers ne peuvent être simples. De plus, le simple et le complexe s’entrelacent sans cesse en physique. Tantôt la simplicité se cache sous des apparences complexes à l’image du mouvement compliqué des astres pourtant issu de la simple loi de Newton. Tantôt c’est l’inverse, à l’image des lois thermodynamiques simples issues des mouvements infiniment variés des molécules.

Cette quête de simplicité doit donc plus être vue comme un guide plutôt que comme une loi absolue. Les savants tendent d’ailleurs à décomposer les phénomènes complexes en un grand nombre de phénomènes élémentaires décrits par des lois de plus en plus compactes avec toutefois des concepts de plus en plus profonds et compliqués à comprendre.
En conclusion, il y a toujours plusieurs manières de décrire un phénomène et en général le modèle le plus simple est celui qui finit par être adopté. Mais pour Poincaré, ce qui importe vraiment ne réside pas dans les images que nous associons aux objets de la nature. Ces images finissent en effet, toujours par être remplacées au gré des changements de paradigme. Ce qui importe c’est qu’il y ait les mêmes rapports entre les objets qu’entre les images que nous sommes forcés de mettre à leur place. Ces rapports sont les constantes que les modèles physiques mettent à jour : constante de la gravitation, vitesse de la lumière… Peu importe si la théorie qui les a introduit disparait, les rapports sont conservés dans les théories suivantes et permettent d’affiner toujours davantage la vision que l’homme se fait de la nature.
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- Cet article est inspiré de l’ouvrage La science et l’hypothèse d’Henri Poincaré dont le plan est le suivant :
- Sur la nature du raisonnement mathématique
- La grandeur mathématique et l’expérience
- Les géométries non-euclidiennes
- L’espace et la géométrie
- L’expérience et la géométrie
- La mécanique classique
- Le mouvement relatif et le mouvement absolu
- Énergie et thermodynamique
- Les hypothèses en physique
- Les théories de la physique moderne
- Le calcul des probabilité
- L’optique et l’électricité
- L’électrodynamique
- La fin de la matière