Imaginez un monde où les phénomènes sont calmes, où le comportement des objets est répétitif et prévisible, où leur description est simple et intuitive… Ce monde est celui de la physique du XIXe siècle. Il comprend la mécanique de Newton, l’électromagnétisme de Maxwell, la thermodynamique de Boltzmann…

Visualisez maintenant un monde chaotique où les phénomènes sont brutaux et imprévisibles. Les objets sautent d’un état à l’autre sans prévenir et les mots jadis utilisés pour décrire leur nature semblent perdre leur sens. Cet univers est celui de la mécanique quantique, théorie développée dans les années 1920-1930.

La transition difficile entre ces deux mondes débuta quand certains physiciens mirent au point une théorie très novatrice : la théorie des quanta. Leur postulat de base était pour l’époque, très surprenant : la lumière ne devait pas être vue comme une onde mais comme une particule.

Le rayonnement du corps noir

C’est Planck qui posa les premières briques de la théorie en étudiant le rayonnement du corps noir.

soleil
Les étoiles sont des exemples de corps noirs

Certains objets, comme les étoiles, absorbent quasiment toute la lumière dirigée vers eux. Aucune réflexion n’est observée à leur surface, ce qui fait que la lumière qu’ils émettent est uniquement due à l’agitation thermique. La manière dont ces objets rayonnent ne dépendent alors que de leur température. On appelle ces objets des corps noirs.

Si l’on trace l’intensité de la lumière qu’ils émettent en fonction de la longueur d’onde notée \lambda (lambda), on obtient toujours des courbes de ce genre :

Spectre corps noir
Le spectre d’un corps indique l’intensité de la lumière émise à chaque longueur d’onde. Il est de plus en plus piqué à mesure que la température, ici donnée en Kelvin (K), augmente.

Pour établir ce type de courbe, on diffracte la lumière reçue depuis l’objet observé (avec un prisme ou un réseau par exemple) ce qui permet de séparer les différentes longueurs d’onde, c’est-à-dire les différentes couleurs du rayonnement. On mesure alors l’intensité associée à chaque longueur d’onde.

On constate que la courbe ainsi tracée possède un maximum à une longueur d’onde notée \lambda_{max} sur le schéma ci-dessus. Cette longueur d’onde correspond plus ou moins à la couleur de l’étoile et varie suivant la température de la surface de l’astre : les étoiles froides sont rouges et les étoiles chaudes sont bleues.

Deux lois ont d’abord été proposées pour expliquer cette courbe :

  1. la loi de Wien qui fonctionne bien à haute fréquence (donc à petite longueur d’onde car fréquence et longueur d’onde sont inversement proportionnelles) et qui donne la bonne valeur de \lambda_{max}
  2. et la loi de Rayleigh qui, elle, fonctionne bien à basse fréquence (donc à grande longueur d’onde).
wien-rayleigh-planck
Loi de Wien en bleu, loi de Rayleigh en vert et loi de Planck collant aux observations en rouge. On constate que la loi de Wien ne marche qu’à petites longueurs d’onde et la loi de Rayleigh à grandes longueurs d’onde.

Aucune de ces deux lois n’était pleinement satisfaisante.

  1. La loi de Wien ne marchait pas à grande longueur d’onde et avait été proposée de manière empirique sans aucune preuve.
  2. La loi de Rayleigh donnait, quant à elle, une courbe tendant vers l’infini aux hautes fréquences (c’est-à-dire aux petites longueurs d’onde), notamment à partir des ultra-violets. On nomma ce problème la catastrophe ultraviolette. L’atterrement des scientifiques venait du fait que cette loi était directement issue des principes de la thermodynamique. Le monde calme et prévisible de la physique classique était-il à remettre en question?

La loi de Planck

Planck s’aperçut en 1900 que la loi de Rayleigh posait problème parce qu’elle donnait un rôle trop important aux hautes fréquences. Pour coller aux observations, il fallait un mécanisme limitant ces fréquences élevées. Une manière de faire est de considérer que les échanges d’énergie à ces fréquences se font difficilement.

Max Planck
Max Planck

Planck émet alors l’hypothèse que la lumière est transmise par paquets d’énergie E proportionnelle à la fréquence f. Sa loi s’écrit ainsi E=h.f avec h une constante que l’on nomme depuis la constante de Planck. À basse fréquence, les échanges d’énergie se font donc par tout petits grains, de manière fluide et continue. À hautes fréquences par contre, chaque paquet nécessite de hautes énergies pour être émis et généralement la température du corps noir n’est pas suffisante pour y accéder.

En termes modernes, ces paquets d’énergie sont appelés des photons et le raisonnement de Planck consiste à dire que les photons de haute fréquence (et donc transportant beaucoup d’énergie) sont rares car trop coûteux à émettre. Selon cette description, la lumière est donc composée de particules !

Cette hypothèse permet d’expliquer parfaitement les courbes observées et remet en cause deux aspects fondamentaux de la thermodynamique :

  1. l’énergie n’est pas répartie de manière uniforme sur toutes les fréquences d’oscillations du corps noir (on dit qu’il n’y a pas équirépartition de l’énergie).
  2. les transferts d’énergie ne se font pas de manière continue mais de manière abrupte, par paquets.

Une analogie

Pour expliquer ce phénomène, on peut donner l’analogie d’une répartition d’argent de poche annuel à quatre enfants, disons Alice, Basile, Cédric et Damien. Ces enfants sont un peu gâtés et posent quelques conditions.

Alice accepte les billets et les pièces mais pas les centimes qui sont trop encombrants à ses yeux.

Basile n’accepte pas les pièces mais seulement les billets donc des paquets d’argent à partir de 5 euros.

Cédric n’accepte que les billets de 20 ou plus.

Et Damien est un peu exigeant et n’accepte que les billets de 100 ou plus…

Si vous avez 10 euros à donner, seuls Alice et Basile obtiendront de l’argent : 5 euros chacun.

success

De la même manière, si un objet a peu d’énergie à donner à l’extérieur, il va le faire sous la forme de paquets de lumière de basse fréquence (ici Alice et Basile représentent les basses fréquences).

Si vous avez 60 euros à répartir, Cédric obtient une part aux côtés d’Alice et de Basile mais Damien n’obtient toujours rien.

Et si vous avez 400 euros à donner, Damien obtient enfin une part.

Chaque année, vous cherchez à être équitable (dans le dernier cas, chaque enfant obtient 100 euros) mais rien ne vous oblige à être équitable sur le long terme ce qui fait que, comme Alice et Basile obtiennent de l’argent quasiment à tous les coups, ils gagneront au total plus que Damien. De la même manière, il y a peu d’échange d’énergie à haute fréquence car les paquets demandés pour réaliser l’émission de lumière sont trop gros.

argent

Ce phénomène de blocage se voit si les parents donnent quelques dizaines d’euros seulement. S’ils donnent beaucoup plus, l’équirépartition de l’argent de poche est possible. De la même manière, si le corps noir est très chaud comparé aux fréquences observées, l’équirépartition de l’énergie est possible.

Les photons

Les particules de lumière, appelés quanta par Planck puis photons à partir de 1926, permettent ainsi d’expliquer parfaitement le rayonnement du corps noir. Planck, toutefois, n’aimait pas trop son idée et ne voyait là qu’un artifice mathématique. Il chercha longtemps à raccorder son résultat avec la thermodynamique mais en vain. Son hypothèse révolutionnaire était bonne et fut utilisée par de nombreux physiciens pour poser les bases de la mécanique quantique.

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  • Cet article est inspiré de l’ouvrage La physique nouvelle et les quanta de Louis de Broglie dont le plan est le suivant :
  1. La mécanique classique
  2. La physique classique
  3. Atomes et corpuscules
  4. La théorie de la relativité
  5. L’apparition des quanta dans la physique
  6. L’atome de Bohr
  7. Le principe de correspondance
  8. La mécanique ondulatoire
  9. La mécanique quantique d’Heisenberg
  10. L’interprétation probabiliste de la nouvelle mécanique
  11. Le spin de l’électron
  12. La mécanique ondulatoire des systèmes et le principe de Pauli