Les deux théories physiques majeures du XXe siècle que sont la mécanique quantique et la relativité générale ont été prouvées expérimentalement à de maintes reprises et ont permis la conception de nombreuses technologies modernes. La première décrit le monde microscopique avec une précision inégalée et remet à plat ce que nous savons de la matière. La seconde réexplique la force de gravité en transformant radicalement ce que nous savons de l’espace et du temps.

Malheureusement, ces deux théories sont, à premières vues, incompatibles. La mécanique quantique (MQ) utilise les anciennes notions d’espace et de temps contredites par la relativité générale (RG). Et la RG utilise les anciennes notions de matière et d’énergie contredites par la MQ. Aujourd’hui, il n’existe pas de cadre global incluant ces deux théories.

  • Soit le phénomène observé s’effectue à petite échelle (par exemple la désintégration d’un atome) et la MQ est utilisée,
  • soit il met en jeu de grandes énergies (par exemple le mouvement des planètes) et c’est la RG qui fait loi.
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Collision microscopique décrite par la mécanique quantique

L’absence de cadre global est gênante d’un point de vue théorique mais pas seulement. Il existe en effet des lieux et des instants mettant en jeu des phénomènes à la fois microscopiques et très énergétiques comme le centre des trous noirs ou les premiers instants de l’univers. La physique moderne est donc incomplète. La nature ne peut pas être décrite par deux théories incompatibles. Mais tout espoir n’est pas perdu. Des domaines de recherche tels que la gravitation quantique à boucles se donnent pour mission de réconcilier les deux théories.

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Structure granulaire de l’espace dans le modèle de la gravité quantique à boucle.

La RG repose sur deux principes fondamentaux :

  • Le premier stipule que les masses interagissent entre elles via un champ gravitationnel vibrant et ondulant, de manière analogue à l’électromagnétisme où les électrons interagissent via un champ électromagnétique.
  • Le second, totalement révolutionnaire, affirme que l’espace et le champ gravitationnel sont une seule et même chose.

Si deux concepts décrivent une même chose c’est que l’un d’entre eux est superflu et doit être éliminé de la théorie. Une première manière de traduire cette identité consiste alors à dire que le champ gravitationnel n’existe pas et que c’est l’espace qui vibre et ondule. Une seconde manière, moins couramment utilisée mais tout aussi intéressante, consiste à affirmer que c’est l’espace qui n’existe pas. Le monde n’est alors plus décrit par des particules et des champs plongés dans un espace mais par des particules et des champs uniquement.

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Le champ gravitationnel ondule et vibre permettant l’existence d’ondes gravitationnelles

Selon cette interprétation, nous vivons sur le champ gravitationnel pas dans un espace-boîte rigide. Et pour développer une théorie quantique de la gravité, ce champ vibrant et ondulant doit être constitué de grains obéissant à des lois probabilistes. Une manière de rendre le champ granulaire consiste à supposer qu’il est constitué de très petites boucles connectées les unes aux autres.

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Chaque boucle (ici des triangles) est collée aux boucles voisines, ce qui constitue un réseau de nœuds. À chaque nœud du réseau est associé un polyèdre permettant de calculer le volume de la cellule

Le champ est donc un réseau de nœuds reliés entre eux par des segments et chaque suite de segments se refermant sur elle-même définit une boucle. Calculer un volume revient alors à compter le nombre de nœuds à l’intérieur du domaine et calculer une aire revient à compter le nombre de segments traversant la surface. Volume et aire sont alors quantifiés par construction.

Cette granularité de l’univers primordial pourrait avoir laissé des traces dans l’univers actuel notamment dans le rayonnement fossile. Détecter ces traces permettrait alors de justifier cette approche encore spéculative qu’est la gravité quantique à boucle.

Une autre prédiction de la théorie concerne l’évolution des trous noirs. Ceux-ci verraient leur densité diminuer par évaporation ce qui permettrait, à terme, à la matière de s’échapper du puits gravitationnel amoindri par l’évaporation. Une réaction en chaîne se mettrait alors en place : plus le puits est faible, plus la matière s’échappe et plus la matière s’échappe, plus le puits s’amoindrit. S’ensuivrait une explosion titanesque qui pourrait expliquer les sursauts gamma détectés depuis les années 60. Une signature de la théorie pourrait également être présente dans ces phénomènes cataclysmiques.

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Faut-il abandonner le concept de temps?

La théorie de la relativité a montré que le temps devait être pensé autrement que comme une donnée absolue. Deux objets, suivant leur vitesse et l’intensité du champ gravitationnel, peuvent voir le temps s’écouler à des rythmes différents. La notion de simultanéité de deux évènements séparés spatialement perd alors son sens. Ainsi, le temps doit être vu comme une condition locale : chaque objet dans l’univers possède son propre temps.

Deuxième révolution apportée par la théorie : l’espace et le temps ne sont pas des concepts indépendants. C’est l’espace-temps qui est identifié au champ gravitationnel, pas seulement l’espace. En reprenant le raisonnement développé plus haut, on conclut que c’est à la fois l’espace et le temps qui n’existent pas. La variable t ne figure d’ailleurs pas dans les équations de la gravité quantique. L’espace-temps a été remplacé par le champ.

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La relativité générale décrit le trou noir comme une singularité de l’espace-temps : certaines variables deviennent infinies et la théorie atteint ses limites

Au lieu d’exprimer les variables A, B, C de la théorie en fonction du temps : A(t), B(t), C(t), on les exprime les unes en fonction des autres : A(B), B(C), C(A). Cette définition circulaire est d’ailleurs précisément ce que l’on adopte pour « mesurer » le temps. Galilée mesurait la « durée » d’oscillation d’un pendule en comptant ses propres battements de cœur, on mesure la « durée » d’un mouvement en comptant le nombre d’oscillations d’un pendule pendant le trajet etc…

Le temps n’existe donc pas au niveau microscopique. La question se pose alors de savoir pourquoi la sensation du passage du temps émerge au niveau macroscopique. Une piste évoquée récemment serait de considérer que le temps est une grandeur thermodynamique au même titre que la température. Ce sont les flux thermiques macroscopiques qui donnent une existence au temps de la même manière que les chutes d’objets donnent une existence au bas. Le bas c’est « là où ça tombe » et le futur c’est « là où ça refroidit ».

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  • Cet article est un résumé de l’ouvrage Et si le temps n’existait pas? de Carlo Rovelli.
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